25 années à servir l'art du collage

Parcours d'une vraie passion

Artcolle est le seul musée international de l’Art du collage, cinq salles sont actuellement ouvertes au public, dont l’une est consacrée aux expositions temporaires. Près de 200 œuvres de Braque, Kolar, Villeglé, et bien d’autres artistes de renom y sont exposées et l’entrée y est gratuite. Le musée est ouvert tous les samedis après-midi en période estivale, et toute l’année sur rendez-vous. Par le biais des papiers découpés, froissés et déchirés, par le truchement des matériaux composites et des manipulations numériques, le musée Artcolle permet aux visiteurs d'apprécier la pluralité et la modernité d’un Art du collage aujourd'hui centenaire.  Toujours en mouvement, la collection continue de s’enrichir – une œuvre de la star de cinéma Michèle Morgan vient d’être acquise par le Musée dernièrement – tout comme le fonds documentaire. En dehors de toute l’énergie que je mets au service du Musée, je peux également compter sur l’appui des 40 adhérents de l’association Les amis du musée Artcolle, amateurs d’art ou collagistes passionnés souhaitant soutenir le musée.
De la poésie à l’art du collage : Une histoire de la création du musée Artcolle
C'est vers 18 ans que j'ai commencé à coller : ma passion première était – et reste toujours – la poésie. Comme tout passionné de poésie, j'écrivais également. Mes contes et nouvelles étaient publiés dans des revues prestigieuses à cette époque : Pilote, Espace-Temps, etc. Mon premier recueil de poésie fut quant à lui retiré de la vente par décret du Premier ministre Raymond Barre, et c’est là mon seul point commun avec Baudelaire : lui alliait le génie poétique et subit la disgrâce de la Justice avec ses Fleurs du Mal – moi je n’ai eu qu’à subir la disgrâce de la Justice qui fit fermer ses portes à mon éditeur, lequel portait un nom prédestiné, puisqu’il s’agissait des éditions Damned !
Mon humble poésie était sous influence mallarméenne, parfois il me fallait plusieurs jours pour trouver le mot juste, la tête plongée dans les pages de mon Robert. Je m'obligeais par passion à acheter des livres des poètes que je n'appréciais pas, comme Prévert, et me forçais à les lire. Ainsi, un jour, j'achetai le recueil Fatras de Jacques où sont reproduits une centaine de ses collages. Étrangement, bien que sa poésie écrite me semblât peu harmonieuse, la poésie de ses collages me parla aussitôt, c’était là le langage d’une âme complice et familière.
Quelques mois plus tard je délaissai ma plume et fis un collage avec quelques images découpées dans un livre de gravures trouvé aux Puces de Montreuil. Le jeu m'amusa, et m'abusa, aussitôt.
J’acquis alors le sentiment d'un air nouveau et d'une évidence poétique aussi éclatante qu'une lame de tarot. La possibilité d'écrire la poésie avec des images, de la transmettre autrement qu'avec des voyelles et des consonnes, s'imposa de plus en plus à moi au fil des nuits. Les images découpées devenaient elles-mêmes consonnes ou voyelles, verbes ou adjectifs, suivant leur agencement sur la toile. Je m'aperçus lors que l'on pouvait coller un poème, comme on pouvait écrire un collage.
Dix ans plus tard je décidai d’entrer en contact avec d’autres colleurs.  A l’époque on ne disait pas collagiste, et pour cause, puisque je n’avais pas encore inventé ce mot, repris depuis par tous les acteurs de cet art. Je m’aperçus qu’il n’existait aucune organisation fédérant cet art : je décidai donc de créer une association, le Collectif Amer. C’est ainsi que le 17 octobre 1992, dans mon fief parisien, se tint la première réunion de l’association Artcolle (c’est le nom que prendra l’association bien plus tard… avant de devenir l’association des Amis du musée Artcolle, son nom actuel).
De 1974 à 1993, j'ai composé beaucoup de collages en ne manifestant d'autre intérêt que pour ma propre production. Je les montrais parfois à quelques amis qui répétaient en chœur : " Pierre-Jean, tu es bon ".
Lors des premières réunions du Collectif Amer, j'avais pu mesurer le travail d'autres collagistes, et je n'y voyais aucun " danger immédiat " : mes sous-Prévert, valaient bien d'autres sous-cubistes, ou sous-machin chose. C'est en mars 1993, lors de notre première exposition dans un bar expo de Paris - La Picolthèque -  que j'eus la première occasion de me mesurer aux autres pratiques de l'art du collage. Ma première surprise fut lors de l’accrochage en voyant les œuvres originales de mes collègues, dont le format était plus grand que les miens.
Et pourtant, pour cette première exposition j'avais investi dans des cadres prétentieux, qui en augmentaient considérablement les dimensions, faute d'en augmenter autre chose. Je revins de l'accrochage avec une étrange sensation – si ce n'est un terrible pressentiment : " Et si j'étais juste un chouïa moins bon que très bon ? "
Vint le vernissage, puis les permanences que j'assurais, et arriva enfin le jour du décrochage.
J'étais arrivé de bonne heure, et un coutumier de l’endroit, véritable pilier de bar, était présent. Dès qu'il ouvrait la bouche, le fond de l'air justifiait la Licence V de l’établissement.
Il s'approcha de moi. S'appuyant d'une main sur le zinc du comptoir, il me posa l’autre main sur l'épaule et me regarda si tendrement que je priais Dieu pour qu'il ne m'embrassât point. Je sentais bien qu'il voulait me dire quelque chose, enfin quelqu'un pour reconnaître ma vraie valeur artistique, déjà reconnue par dix-huit années des « Pierre-Jean, tu es bon » me dis-je.
Il me regardait, et cette scène –  presque au ralenti – ressemblait à la réplique de celle du film Quai des Brumes, celle où Jean Gabin regarde Michèle Morgan et lui dit : " T'as de beaux yeux tu sais ".
Mon pilier de bar, lui, me déclara entre deux hoquets : « Pierre-Jean, t'as de beaux cadres tu sais ! »
Cette sentence me fit l'effet d'une lame de guillotine. Comme si c'était hier, je me souviens de la sonorité du jugement de cet homme me déclarant : « Pierre-Jean, t'as de beaux cadres tu sais ! »
Je suis resté figé, pour ne pas dire collé, au bar jusqu'à trois heures du matin et le propriétaire du lieu finit par me déposer en taxi près de mon domicile. J'arrivai chez moi, je refermai la porte et m'interrogeai : " Devais-je abandonner l'art du collage ou me jeter du cinquième étage ?  " . 
Je ne sais comment je trouvai le sommeil, mais lorsque j'ouvris les yeux, je pris une décision : celle de m'intéresser à mon art, à son histoire, ses techniques, ses acteurs, illustres, connus ou inconnus. Bref, à servir mon art. Depuis, je n'ai jamais cessé de m'y intéresser et j'en suis devenu, sans fausse modestie, l'un des plus éminents spécialistes. Et, comme tout le monde a pu le remarquer depuis lors, je n'ai plus jamais encadré un seul de mes collages.
En 1996, l’association a déjà 4 ans et compte plus de 200 expositions à son actif, dans des lieux invraisemblables : restaurants, clubs de billards, hôpitaux, grands magasins, et quelques rares galeries. Faire connaître l’art du collage en multipliant les expositions collectives ne pouvait être une fin en soi : il ne reste rien d’une exposition fut-elle la plus belle, lorsque le rideau du décrochage retombe. Depuis le « t’as de beaux cadres, tu sais », je m’étais mis en quête de tout apprendre, dépassant l’absence de documentation sur l’art du collage, en parcourant les librairies de livres rares, en multipliant les contacts en France et à l’étranger - j’ai créé sur internet le 1er site consacré à l’art du collage en 1994 - et en achetant tout ce que je pouvais trouver. Dès 1998, ma collection est devenue conséquente et l’idée d’en faire bénéficier les autres collagistes m’a percuté comme une évidence. Je décidai de changer d’orientation, cesser l’enchainement des expositions et créer un Centre de documentation sur l’Art du collage. L’Association du départ se scinda en deux : Artcolle d’une part, pour la création du Centre de documentation – et le Collectif Amer, d’autre part. Ce collectif s’est auto-dissous quelques mois plus tard. Tous mes contacts se transformèrent en agents d’Artcolle, récoltant des documents dans plus de 23 nations. J’entrai également en contact avec les plus grands maîtres du collage : Kolar, Villeglé, Mandeville, Philibert Charrin, Fitzia, etc. et à ma grande surprise, tous soutinrent mon projet.
A cette époque, j’accumule donc documents et collages – comme aujourd’hui - et la double vie que je mène – chercheur de trésors et employé d’Air France tout à la fois, me devient insupportable – d'autant que depuis 1992 mes recherches sur les techniques de cet art commencent à porter leurs fruits dans mon propre travail. Malgré de nombreuses démarches auprès du Ministère de la Culture et de la Mairie de Paris, je comprends que je n’aurai aucun subside pour la réalisation de mon projet. En 1998, j’en arrive à ce constat : soit je sers mon art – en créant le Centre de documentation – et par conséquent pour ce faire je quitte mon emploi – soit je me sers de mon art – pour le plaisir des expositions, etc. – tout en continuant à profiter du confort matériel et financier que me procure mon emploi chez Air France.
Au grand dam de ma famille et de mes amis, je choisis de servir mon art : je négociai mon départ d’Air France, et avec ce pactole et dix-sept années de crédit, j’achetai une ancienne ferme à Sergines, près de Sens, à 100 km de Paris. Après deux années de gros travaux j’ouvris le Centre de documentation sur l’Art du collage le 1er mars 2000, faisant venir spécialement d’Italie pour cette occasion Son Altesse Sérénissime Marlèna Ratti, petite-nièce du pape Pie XI et amie collagiste. Et je décidai que l’entrée serait gratuite, pour rester conforme à mes utopies.
En 2004, je choisis de poursuivre ma vie d’artiste au quitte ou double : je quittai Sergines, pour m’installer en Bulgarie, et précisément à Plovdiv. Ayant organisé maintes expositions de collage à l’étranger, en Italie, Suisse, Belgique, Allemagne, et en ayant coorganisé tout autant, aux Etats-Unis, en Nouvelle-Zélande, au Canada, et en Bulgarie je savais qu’avec mes faibles revenus financiers de l’époque, je pouvais tenter de continuer ma vie d’artiste en Bulgarie.
Par ailleurs, en 2000, j’avais coorganisé le 1er symposium Art-Kollage à Plovdiv, et afin de remercier les artistes pour leur accueil, je proposai d’exposer les collagistes bulgares lors du Salon international de l’art du collage à Paris (Salon que j’ai créé en 1993). C’est ainsi que l’année suivante, en accrochant les toiles de ces artistes sélectionnés pour l’occasion, je découvris le travail de Sylvia Netcheva. Comme il n’existe pas de hasard, en 2002, lors du 2e symposium Art-Kollage, je rencontrai cette artiste dont j’étais follement amoureux du travail. Elle était belle et brune, je tombai forcément doublement amoureux.
Durant mes six années d’exil bulgare, je suis revenu en France tous les mois pour une exposition, une conférence ou un stage, occasions d’alimenter financièrement mon exil.
Parallèlement je mis sur papier les connaissances que j’avais acquises : c’est comme cela que j’ai écrit l’Histoire de l’art du collage du XIIe siècle jusqu’à l’aube du XXIe siècle – ouvrage qui est devenu référence et cité à foison, comme dernièrement dans la thèse Du collage au photocollage soutenue à l’Université de La Sorbonne par Mme Sabot. Cet ouvrage, publié en 2006 fut suivit d’une douzaine d’autres consacrés à cet art.
J’ai également organisé de 2002 à 2007, l’opération Atout Cœur d’Artiste qui consistait à créer des petits collages et les vendre à 10 € pièce chacun à chaque exposition. Des collagistes de quinze nations différentes ont participé à ces opérations, l’intégralité de la vente annuelle (plus de 1000 € chaque année, soit à l’époque l’équivalent de 6 smics du pays) étant reversée au Président de l’Association des pédiatres bulgares, le Professeur Ghénev. Cela a permis de rénover entièrement les locaux du service pédiatrie de l'Hôpital universitaire de Plovdiv accueillant des enfants atteints du cancer : aménagement de chambres pour les parents, de douches, de fenêtres isolantes, réfection des murs, création d’une salle de loisirs, achat de téléviseurs et de consoles, etc.
Pendant ce temps le site internet du Centre de documentation précisait : « Fermeture pour travaux ». Aucun contact ne savait que je vivais à Plovdiv. En 2008 je décidai de revenir à ma source, en Bretagne, et me retrouvai à Plémet. Dès lors, il fallait créer le musée de l’Art du collage, puisque le Centre de documentation n’avait été autre qu’un musée ne disant son nom. L’objectif était que ma collection soit gérée par l’association, et que le musée soit dans un espace public, et non plus privé comme à Sergines, afin que, si je devais disparaître, cela soit totalement indépendant de ma propre existence. À Plémet, avec l’accord de la municipalité, j’ai obtenu d’installer le musée dans la salle des mariages de l’ancienne mairie – puis avec le temps, les derniers occupants du bâtiment (médecine du travail, etc.) ont cédé la place au musée. Actuellement, le musée occupe cinq salles. Lorsque nous ouvrirons la sixième salle, en juillet 2018, nous occuperons alors l’ensemble du rez-de-chaussée et du premier étage. Restera à convaincre la municipalité de nous octroyer les 3 bureaux du second étage du bâtiment pour y transférer la documentation amassée durant ses vingt-cinq dernières années.
A présent, il ne vous reste plus qu’à découvrir l’unique musée consacré à l’Art du collage : le Musée Artcolle de Plémet. Il est à votre porte, son entrée est gratuite et comme je suis de permanence à la permanence, j’aurais le plaisir de vous y accueillir aux côtés de Sylvia Netcheva.
Et si vous souhaitez soutenir le musée Artcolle pour l’achat de documentation, rails, cimaises et tant d’autres fournitures, vous pouvez adhérer à l’association Les amis du musée Artcolle.
N’hésitez surtout pas, soutenir un musée, même avec trois sous, c’est plus utile pour nous que de mettre « like » sur Facebook. Grâce à votre aide, vous contribuerez à l’élaboration du bonheur que me procurera le jour venu mon épitaphe : Le musée Artcolle est pour moi une victoire posthume réalisée de mon vivant.  
Pierre Jean Varet
(texte publié dans le Magazine culturel breton Arzour en octobre 2017)
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